
Le 13 septembre 1858, en plein cœur de l’Atlantique Nord, le vapeur Austria, paquebot transatlantique de la compagnie Hapag, sombre au large des Açores après un incendie d’une violence fulgurante. Parti de Hambourg à destination de New York avec plus de 500 passagers, l’Austria se transforme en piège mortel. Le sinistre, déclenché par une désinfection au goudron mal maîtrisée, fait 450 victimes. À l’époque, cette catastrophe maritime est l’une des plus meurtrières du siècle, bien avant le naufrage du Titanic.
Aujourd’hui, ce drame oublié refait surface au musée d’histoire de Nantes grâce à une œuvre puissante : L’Incendie du steamer Austria, peinte en 1863 par Charles Leduc, artiste nantais et ancien marin. Le tableau montre le paquebot en flammes, dérivant dans une mer déchaînée, pendant que des canots s’efforcent de sauver les survivants. La scène est saisissante, tant par sa composition dramatique que par la précision du geste pictural.
L’œuvre n’est pas seulement un tableau de marine : c’est un hommage. Elle a été commandée par la loge maçonnique Mars et les Arts, dont le nom est encore visible sur l’imposant encadrement en bois doré. Cette loge nantaise rendait ainsi hommage à l’un de ses membres, le capitaine Ernest Renaud, commandant du navire Maurice. Ce dernier, alerté par les signaux de détresse, dévia sa route et parvint à secourir une partie des passagers de l’Austria, en faisant preuve d’un sang-froid et d’un courage unanimement salués.
L’artiste Charles Leduc (1831–1911) fut un peintre de marine renommé, dont la sensibilité était nourrie par une expérience directe de la navigation. Ses toiles, souvent marquées par des épisodes dramatiques de la vie en mer, sont recherchées pour leur précision documentaire autant que pour leur charge émotionnelle. Dans L’Incendie du steamer Austria, il condense toute la tension d’un moment de bascule entre la vie et la mort.
En 2012, le musée d’histoire de Nantes a mis en lumière cette tragédie à travers une exposition exceptionnelle intitulée L’Austria, une tragédie dans l’Atlantique, accompagnée d’un catalogue de référence rédigé par Pierre Chotard et Gaëlle David. L’œuvre de Leduc y figurait en pièce maîtresse, incarnant l’un des rares témoignages visuels contemporains de ce naufrage.
Au-delà de la scène historique, ce tableau est aussi un objet de mémoire fraternelle. En gravant dans la peinture le nom de la loge Mars et les Arts, ses commanditaires ont inscrit leur volonté de ne pas laisser sombrer, dans l’oubli, l’acte de bravoure d’un des leurs. Cette reconnaissance s’est également traduite par une Ode composée par le F∴ Puységur, en hommage au capitaine Renaud. Conservée à la Bibliothèque nationale de France, cette pièce lyrique constitue un autre témoignage précieux de la mémoire maçonnique autour de ce sauvetage héroïque. Ainsi, entre les flammes du navire et l’écume de la mer, se tient une autre histoire — celle du lien entre les vivants, la mer, et l’engagement silencieux des hommes.